Au cœur de l’actualité, le procès entre Ripple et la SEC n’en finit plus de faire parler de lui. L’entreprise américaine, à l’origine de la crypto-monnaie XRP, est aux prises avec le gendarme de la régulation américaine depuis de longs mois.
Ce procès semble être la parfaite illustration du décalage entre une législation conçue pour des produits financiers classiques et l’avènement des crypto-monnaies qui ne rentrent pas dans les cases préalablement définies par les autorités.
Ce procès est aussi le symbole de la lutte de pouvoir entre les autorités de régulation, représentantes de l’ordre établi et les acteurs des crypto-monnaies avec au cœur de leur fonctionnement l’innovation et la décentralisation.
Nous allons voir les origines de Ripple, la genèse de cette bataille ainsi que les suites éventuelles de ce procès qui fera date dans l’histoire des crypto-monnaies.
Qu’est-ce que Ripple ?
Ripple est une société américaine pionnière dans le domaine des crypto-monnaies. L’idée de créer un système de monnaie numérique, la raison de vivre de Ripple date de 2004. A l’origine du projet, on retrouve Ryan Fugger qui sera remplacé par la suite par Chris Larsen et Jed McCaleb.
En 2005, Ripplepay est lancé par Ryan Fugger afin de proposer des paiements sécurisés partout dans le monde. En 2012, Chris Larsen et Jed McCaleb reprennent la société et Ryan Fugger s’en va notamment pour mener à bien le projet crypto Stellar. Ils renomment Ripple en OpenCoin avec un objectif en tête : proposer une solution de paiements pour les banques et institutions bancaires.
En 2013, la société prendra le nom de Ripple Labs. En Mai 2015, Ripple avait déjà dû aller devant les tribunaux en raison de son incapacité à respecter les normes en vigueur en matière de Know Your Customer (KYC) et de mesures anti blanchiment (LCB-FT). 700 000$ d’amende furent alors infligés à la firme américaine.
Ripple est à l’origine de la crypto-monnaie XRP, toujours l’une des plus grosses capitalisations du marché, et un jeton historique de l’écosystème des crypto-monnaies.
Le XRP est créé en 2012 comme la crypto monnaie native de la blockchain Ripple. Cette blockchain a pour mission de : permettre des échanges interbancaires sécurisés et vérifiés par les participants du réseau via un mécanisme de consensus. Tout cela en temps réel avec une solution open source.
L’objectif de Ripple est de diminuer les coûts, mais aussi d’augmenter la vitesse des transactions internationales. De nos jours, les transferts bancaires internationaux prennent de 3 à 6 jours. L’idée de Ripple est de se positionner comme une alternative au réseau bancaire SWIFT qui regroupe la majorité des établissements bancaires mondiaux.
Ripple est à l’origine non seulement du XRP mais de 3 produits technologiques distincts.
Premièrement, on retrouve RippleNet qui a pour but de transférer de l’argent facilement et rapidement entre institutions bancaires, le cœur de la mission de Ripple.
RippleNet propose aussi une fonction innovante avec en son centre le token XRP : le on demand liquidity ou ODL.
Cette fonction permet d’utiliser le XRP pour des transferts entre deux devises fiduciaires.
Par exemple, si une partie possède des livres et que son partenaire veut recevoir des dollars, le système de ODL va automatiquement effectuer la conversion, en passant par le XRP. Cela simplifie grandement les transactions qui mettent en jeu la conversion de monnaie.
On retrouve aussi XRP Ledger et Ripple X. XRP Ledger est la blockchain open source sur laquelle fonctionne le token XRP. Il s’agit d’un layer 1 ou solution de première couche, à l’image du pionnier Ethereum. Ainsi, les institutions financières et partenaires de Ripple peuvent construire des applications sur cette blockchain, comme n’importe quel acteur peut construire une Dapp sur Ethereum.
La principale différence avec cette blockchain, c’est qu’elle ne fonctionne ni sur le système de la preuve de travail (Proof of Work) comme Bitcoin, ni sur le système de la preuve d’enjeu (Proof of Stake) comme Ethereum.
XRP Ledger, comme son nom l’indique fonctionne avec des registres et non pas des blocs. Chaque registre contient des informations, telles que des données le reliant au registre précédent de la chaîne, des totaux de comptes.
Cela signifie qu’il n’y a donc pas de minage, ni de staking. Tous les XRP ont été créés durant le lancement du projet, cela correspond à 100 milliards de jetons. Ils ont été attribués à Ripple Labs pour 80% afin que l’entreprise puisse développer la blockchain et se financer. Le reste des jetons à lui été réparti entre les fondateurs du projet.
C’est d’ailleurs l’une des critiques récurrentes adressée au projet, sa trop grande centralisation par rapport aux blockchains concurrentes comme Ethereum, Avalanche et autres écosystèmes plus décentralisés.
XRP reste la 6ème plus grosse capitalisation de l’écosystème avec un volume d’échange journalier de près d’1,3 milliards de dollars. La crypto-monnaie de Ripple reste donc un des mastodontes du secteur même si les affaires judiciaires ont certainement plombé l’évolution de son cours à la hausse.
L’affaire Ripple vs SEC
Les deux principaux protagonistes de l’histoire sont la société Ripple Labs et la SEC. La SEC (US Security and exchange Commission) est le gendarme financier américain. Elle est en charge de réguler le marché des produits et instruments financiers mis à disposition du public avec plus ou moins de fermeté selon leur nature. C’est l’équivalent de l’autorité des marchés financiers en France qui surveille notamment les activités et transactions boursières.
La SEC surveille donc les produits financiers comme les actions, les obligations ainsi que différents produits financiers ayant pour but de financer une activité. Elle a aussi pour responsabilité de contrôler les différents instruments financiers comme les contrats et instruments dérivés des produits financiers (les ventes à découvert, les effets de levier, etc.). Ce sont des produits, par nature plus risqués pour l’investisseur, aussi ils sont souvent soumis à un contrôle renforcé des autorités.
Ripple de son côté (ex Ripple Labs) est donc la société à l’origine de la blockchain Ripple et de l’émission de son token natif le XRP.
Des protagonistes soupçonnés de conflits d’intérêt
Du côté de la SEC, on retrouve trois principaux protagonistes. William H Hinman et Jay Clayton, deux des principaux protagonistes ont notamment conseillé et aidé Alibaba, le géant du e-commerce chinois en vue d’un listing sur une bourse d’échange américaine.
Jay Clayton est devenu le chairman de la SEC suscitant à l’époque de sa nomination une vague de critiques pour de nombreux conflits d’intérêts. Il avait notamment participé au renflouement de Goldman Sachs durant la crise de 2008 et travaillé avec la grande banque Barclay’s entre autres. De nombreux conflits d’intérêts révélés par les médias, qui remettait en cause sa nomination à la tête du gendarme américain.
Willaim H Hinman a été nommé directeur de la division corporate finance de la SEC en 2017. Il avait notamment déclaré qu’Ethereum et sa structure décentralisée ne rentrait pas dans la case des securities. Il est issu d’un grand cabinet d’avocat Simpson Thacher qui a continué à lui verser une rémunération d’1,6 millions de dollars durant la durée de son mandat à la SEC, laissant là aussi entrevoir de potentiels conflits d’intérêt.
Marc P Berger est le dernier protagoniste central, il a repris l’affaire et a lancé formellement les poursuites contre Ripple à l’hiver 2020. Il a ensuite démissionné pour rejoindre le cabinet d’avocat Simpson Thacher tout comme William H Himman qui y est retourné en 2020 après sa démission de la SEC.
Tous ces acteurs sont donc de près ou de loin mêlées à différents intérêts qui peuvent les éloigner de l’objectivité requise pour travailler au sein d’un organisme de régulation étatique.
Alors comment les ennuis judiciaires ont-ils démarré pour Ripple ?
Les grandes étapes de la procédure
Le cœur de l’affaire réside dans l’accusation de la SEC concernant Ripple Labs d’avoir organisé une vente de ses jetons XRP sans avoir été enregistrée auprès des autorités. Cet enregistrement s’accompagne de contraintes comme pour toute campagne de financement par émission d’actions ou de bonds sur les marchés traditionnels. Cela pourrait s’assimiler à une fraude boursière de la part de la société Ripple, ex Ripple Labs.
Ripple est accusé d’avoir vendu près d’1,3 milliards de dollars de XRP de 2013 à 2020, pour financer son développement, sans voir été enregistré auprès des autorités.
Derrière ce procès, on retrouve une question centrale, celle de la qualification juridique des cryptos-monnaies. Comment classer ces actifs d’un nouveau genre dans une grille de lecture qui ne leur correspond pas vraiment ? En effet, à l’inverse d’une action ou d’une obligation, le type de crypto-monnaie et sa fonction peut être multiple. Bitcoin ne remplit pas les mêmes fonctions qu’Ethereum ou encore qu’un token de gouvernance par exemple.
Ici la question concernant le XRP est de savoir si ce jeton est une « security » ou non ?
Pour la législation américaine, une « security », un titre en français, est un contrat de financement d’une entreprise donnant au créancier certains droits (comme celui de participation aux bénéfices ou encore celui de percevoir des intérêts etc.) ainsi que les contrats dérivés de ces contrats.
Ce terme regroupe à peu près l’ensemble des instruments financiers classiques mais semble difficilement applicable aux crypto-monnaies. Pour les partisans des crypto-actifs, ceux-ci se retrouvent plutôt dans la catégorie des monnaies, avec lesquelles on achète et vend des biens ou services, que dans celles des securities.
Si la définition de security est volontairement large et peut inclure une large variété d’actifs, la SEC fait reposer son accusation sur la jurisprudence américaine. A l’inverse du droit français, le pouvoir de la jurisprudence est énorme aux États Unis. En effet, un juge ne peut revenir en arrière dès lors qu’une décision juridique a fondé un précédent.
L’arrêt SECURITIES AND EXCHANGE COMMISSION v. W. J. HOWEY CO. et al. Supreme Court
Cet arrêt est au cœur de l’accusation de la SEC envers Ripple puisqu’il définit de manière plus précise ce qui relève ou non du régime des securities.
A l’occasion de cette affaire, les juges ont créé ce que l’on nomme le Howey Test. Ce test sert à déterminer si tel ou tel produit est une security.
On considère que vous avez acheté une security si vous avez fait:
- Un investissement
- Avec de l’argent ou une réserve de valeur
- Au sein d’une même entreprise
- Dans l’attente de profits
- Réalisé grâce à la production d’un travail fait par des tiers
La SEC considère notamment le troisième point dans l’affaire qui l’oppose à Ripple, c’est-à-dire le fait que la vente ait eu lieu au sein d’une même entreprise. La SEC considère que l’utilité du token est mise de côté comparé au fait d’acheter des XRP pour gagner de l’argent en réalisant une plus-value.
Pour la SEC, XRP n’est pas une monnaie mais bien un titre. Le fait que l’immense majorité des tokens sont détenus par une société, une entreprise centralisée accréditant de fait ce statut de security et non pas de monnaie.
A l’inverse de Bitcoin et d’Ethereum, profondément décentralisés, Ripple ne l’est pas. C’est ce qui fait dire notamment à William Hinman, que le XRP peut être considéré comme un titre, une security à l’inverse des bitcoin et des ethers notamment.
Ainsi en vendant près d’1,3 milliards de jetons XRP, en échange notamment de services et de travail, Ripple n’a pas satisfait aux exigences du législateur pour les titres ou securities notamment en matière de protection des investisseurs.
La SEC à poursuivi son action à cause du monopole d’émission du XRP que détient Ripple, ce qui remplirait le troisième critère qui veut que le profit attendu par les investisseurs provienne essentiellement de l’action de la firme américaine.
Ou on est-on aujourd’hui ?
Pour l’heure, l’affaire en est encore au stade des plaidoiries et Ripple semble marquer des points dans son combat l’opposant à la SEC.
Le 11 mars 2022, la juge Analisa Torres a rendu une décision très attendue qui pourrait décider du sort de ce procès. La juge a rejeté une motion déposée par la SEC qui visait à rejeter la défense de Ripple arguant que la société n’avait pas été informé de manière équitable sur les investigations menées par la commission.
Cet argument pourrait s’avérer décisif et faire pencher la balance du côté de Ripple. Cela dit, de nombreuses options sont encore envisageables et il est toujours périlleux de prévoir l’avenir.
Qui gagnera le procès ?
Le procès dure maintenant depuis de nombreux mois et devrait encore se poursuivre au moins pour quelques mois. Il apparait difficile de prévoir avec certitude la conclusion de cette bataille juridique entre le gendarme américain et Ripple.
Dans de nombreux cas, la justice américaine a recours à des accord à l’amiable et il est encore possible que l’issue soit la même pour Ripple.
De nombreux observateurs sont toutefois optimistes quant aux chances de Ripple de remporter ce procès.
Joseph Hall, un ancien cadre de la SEC, a émis des doutes quant aux chances de son ancien employeur de remporter son procès contre Ripple. Pour lui il y a une « assez bonne chance » que la SEC perde sur le fond.
Pour lui, l’absence de notification de Ripple par la SEC sur les investigations en cours est un bon argument en faveur de Ripple. La commission n’a en effet pas respecté ses obligations en matière de notification équitable puisqu’elle n’a pas prévenu Ripple des investigations qu’elle menait. Pour Joseph Hall, « C’est un argument de base pour le respect de la procédure. Le réseau Ripple a fonctionné pendant des années avant le dépôt de dernière minute d’une plainte contre eux. ».
L’avocat Jeremy Hogan, qui suit ce procès depuis des années et le débriefe notamment sur sa chaine Youtube estime que Ripple est en bonne voie pour l’emporter.
Pour lui aussi, l’absence de notification équitable fera certainement la différence. Comme l’avocat le rappelle, cet argument avait déjà permis à Library Credits de gagner un procès contre la SEC en 2021.
En cas de défaite, on peut aussi envisager un accord à l’amiable comme la justice américaine en a l’habitude. Ce fut le cas pour la société Block.One à l’origine de l’ICO d’EOS qui avait dû s’acquitter d’une amende de 24 millions de dollars à l’époque. Une somme modeste quand on se souvient du montant de cette ICO qui avait permis de lever près de 4 milliards de dollars à l’époque. Un montant qui n’avait pas manqué de susciter les critiques des médias et observateurs de l’époque.
L’issue de ce procès est forcément attendu par tout l’écosystème. En effet, à de nombreuses reprises la SEC a fait de ce procès un exemple et mis en avant le fait qu’il pourrait servir de base à une future réglementation. En cas de défaite, il s’agirait d’un véritable coup dur pour le régulateur américain.
Conclusion
Ripple continue pour l’heure son activité et semble bien parti pour remporter ce procès. Toutefois comme dans chaque bataille judiciaire, de nouveaux arguments peuvent venir rebattre les cartes.
Ce n’est pas la première fois que Ripple connait des ennuis avec la justice . Outre l’affaire de normes en matière de KYC en 2015, Ripple a aussi été l’objet d’une class action en 2018.
A l’époque, Ryan Coffey et 10 investisseurs particuliers anonymes ont accusé Ripple d’avoir procédé à une vente de titres financiers non enregistrés. Toutefois, cette affaire fut rapidement abandonnée par les plaignants, sans que l’on sache pourquoi. Quelques mois plus tard, Vladi Zakinov et 25 investisseurs ont déposé une seconde action de groupe, sur le même motif. Les investisseurs affirment que Ripple les a trompé en leur vendant du XRP, car les investisseurs s’attendaient à réaliser des profits, mais ils ont essuyé des pertes.
Ripple multiplie donc les affaires, ce n’est pas le meilleur des contextes pour poursuivre son développement et son jeton XRP en pâtit très certainement depuis de nombreux mois.
Si Ripple parvient à faire entendre son argumentation notamment sur le défaut d’information de la part de la SEC, l’entreprise pourrait continuer sereinement son développement et celui du XRP. Malgré tous ces évènements, l’entreprise affiche une bonne santé financière, elle a annoncé le recrutement de centaines d’employés pour poursuivre son développement.
La fin de ce feuilleton judiciaire bénéficierait forcément au XRP et à sa valorisation qui semble entravée depuis de nombreuses années. Le cours du jeton est en effet en chute depuis le début de procès et ce alors même que l’écosystème des crypto-monnaies connait surement le plus grand bull run de sa jeune histoire.
Toutefois, les critiques émises sur la trop grande centralisation de Ripple notamment risquent de perdurer et son modèle semble dépassé pour certains utilisateurs. Le pouvoir de l’entreprise est en effet encore trop important dans un secteur qui met la décentralisation au cœur de son fonctionnement.
Si Ripple gagne son procès, il n’est pas sûr que son image s’en sorte indemne après cette longue bataille judiciaire.
Pour l’écosystème des crypto-monnaies, une victoire de Ripple marquerait un signe encourageant vis-à-vis des futures régulations qui seront édictées dans les années à venir. A l’heure où le président Biden se montre plutôt bienveillant envers ce secteur, cela serait un signal positif de plus pour l’économie de la blockchain.