Au cœur des arguments des opposants aux crypto-monnaies, leur rôle dans le financement des activités criminelles est un argument récurrent. Ces dernières sont souvent accusées de financer le terrorisme ou diverses activités criminelles. Dans l’imaginaire collectif, ces « monnaies numériques » sont considérés comme favorisant l’anonymat et donc propices aux dérives.
Hormis quelques exceptions, la réalité est toute autre puisque la technologie des registres distribuées et de la blockchain permet une traçabilité des transactions comme nulle autre. Cette transparence est constitutive de la technologie et bien loin de l’opacité des transactions en argent liquide. On peut suivre chaque transaction Bitcoin ou Ethereum de bout en bout et ce très facilement sur les explorateurs de blocs disponible en ligne par exemple.
Alors qu’en est-il dans les faits ? D’où vient cette image accolée aux crypto-monnaies ? Quel est la part des crypto-monnaies qui servent des activités criminelles ? Quelles technologies existent ? Nous verrons tout cela plus en détail dans cet article.
Les cryptos au service des criminels ?
Le darknet ou darkweb représente une portion « cachée » d’Internet et plus précisément du Deep Web. Le Deep web sert à désigner le contenu qui n’est pas indexé par Google et les autres moteurs de recherche. Le Dark Web représente une infime portion de cette Internet caché aux yeux des internautes, environ 0,01 %. C’est donc une partie chiffrée et cachée du web mondial qui sert à la fois aux criminels mais pas seulement. Des activistes politiques, des journalistes passent souvent par le Dark Web pour contourner la censure et protéger leur anonymat.
Pour accéder au Darkweb, il faut souvent passer par différentes solutions logicielles, dont la plus connue d’entre elle Tor. C’est un logiciel qui vous garantit anonymat et vous protège de la censure et de la fuite de vos données.
L’un des sites les plus connus du Darkweb se nommait Silk Road, une place de marché anonyme, véritable marché noir ou les utilisateurs pouvaient acheter et vendre drogues, armes à feu ou encore des données volées de carte de crédit. Sur cette place de marché spécialisé dans les activités illégales, on pouvait se servir de Bitcoin comme moyen de paiement. Avec une monnaie facilitant les transactions transfrontalières et jugée anonyme, c’était le parfait moyen de paiement pour un site de ce genre.
Nous étions alors en 2011 et cette première utilisation a poussé les feux des projecteurs sur le Bitcoin. Quelques mois plus tard, le prix de l’actif passait de 1 à 30 dollars sous l’effet de cette médiatisation soudaine et inédite pour le Bitcoin.
Pourtant, comme nous le savons, les transactions sur la blockchain sont traçables et garantissent une plus grande transparence que des paiements en argent liquide par exemple. C’est d’ailleurs grâce à ces caractéristiques que Bitcoin avait aidé les forces de l’ordre à suivre les transactions illégales qui avaient lieu sur Silk Road.
En 2019, on estimait à 600 millions de dollars, la somme totale dépensée en Bitcoin sur le Darkweb au service d’activités illégales.
C’est dans ces premières années d’existence et de ce passé trouble que semblent s’enraciner les origines de la réputation sulfureuse des crypto-monnaies. Les médias au travers de nombreux articles ont souvent mentionné Bitcoin et les crypto-monnaies seulement pour des sujets liés aux crimes. La pop culture aussi que ce soit les séries ou les films ont aussi érigé les crypto-monnaies comme des instruments opaques. On peut par exemple citer Mr Robot, série à succès sur un hacker interprété par Rami Malek, ou le Bitcoin est utilisé à de nombreuses reprises.
Tous ces éléments ont enraciné l’idée que les crypto-monnaie sont par natures opaques et à ce titre idéales pour différentes activités criminelles.
Monero
Monero est un projet né en 2014 de crypto-monnaie open-source. Sa mission est de protéger l’anonymat de ses utilisateurs. Avec Monero, vous pouvez donc cacher l’origine, le montant et le destinataire de la transaction. C’est ce qui confère à ce token une réputation de crypto-monnaie favorie des criminels.
Monero vient utiliser un ensemble de technologies pour garantir l’anonymat. On retrouve notamment les signatures de cercles, les adresses furtives ou encore le RingCT. Ces dispositifs permettent de protéger l’anonymat de celui qui envoie les fonds, de celui qui les reçoit mais aussi de cacher les montants échangés.
Europol, l’agence européenne de police criminelle, s’inquiétait de la présence de Monero sur le Darkweb « Sur le Darknet, plusieurs vendeurs acceptent Monero, et dans certains cas commercent exclusivement avec ».L’agence européenne mentionnait également une solution concurrente, Dash. Une solution conçue comme une copie de Bitcoin mais permettant des transactions quasi-instantanées et surtout confidentielles.
Monero a aussi été au cœur de piratages de grande ampleur concernant le minage de crypto-monnaies. Pour cela de nombreux logiciels malveillants se multiplient et infectent de nombreux ordinateurs. L’idée est simple, miner des crypto-monnaies à l’insu des possesseurs des machines. Le logiciel nommé Tor2mine va miner du Monero sur les machines les plus vulnérables, c’est-à-dire celles n’ayant pas faites les mises à jour. Ce logiciel cible prioritairement les réseaux d’entreprises qui permettent d’infecter rapidement un grand nombre de machines. Le Monero est choisi par ces logiciels en raison de ces caractéristiques propres notamment l’anonymisation permise par cette crypto-monnaie.
Tornado Cash
Tornado Cash est un protocole hébergé sur Ethereum visant à améliorer l’anonymat sur la blockchain. Le protocole utilise la technique des mixers pour parvenir à ses fins. L’idée est relativement simple à comprendre. Les utilisateurs déposent les fonds dans une pool de liquidité nommée mixer. Un mélange de ces fonds est ensuite réalisée, il se nomme le mix. Enfin, les montants initialement déposés sont renvoyés aux différents utilisateurs. En mélangeant les fonds, il est quasiment impossible de reconstruire la liaison entre le dépôt et le retrait. Depuis son lancement près de 2 millions de dollars en ETH et 4 milliards en stablecoins ont été déposés sur le protocole.
L’utilisation du protocole est relativement simple. Il vous suffit de déposer vos fonds sur le smart contract de Tornado tout en conservant votre accès à ceux-ci. Ensuite, vous pouvez retirer les fonds sur l’adresse Ethereum et le wallet de votre choix. Vous n’avez même pas besoin de posséder des Ethers sur ce wallet car Tornado Cash a pensé à tout avec sa fonction Relayer. Cette fonction permet de générer une nouvelle adresse Ethereum dédiée à la réception des fonds en échange de quelques frais supplémentaires.
Cette technologie est admirée par de nombreux experts pour son efficacité. Victor Fang, PDG et fondateur de la société d’analyse de blockchain Anchain.ai déclarait à son sujet : « Il s’agit d’une cryptographie avancée, d’un travail récompensé par le prix Turing du MIT, la plus haute distinction en informatique ». Une preuve du sérieux technologique du protocole.
C’est donc un instrument idéal pour quiconque souhaiterait faire transiter des fonds tout en préservant l’anonymat. Les motifs peut être légitimes mais il est évident que Tornado peut aussi servir des intérêts criminels.
En décembre 2021 des hackers ont utilisé Tornado Cash pour blanchir près de 196 millions de dollars de crypto volés à Bitmart, un échange de crypto. Si la protection de la vie privée est une noble cause, qui trouve d’ailleurs une résonnance particulière dans l’écosystème blockchain, il est certain que ce protocole pourrait continuer d’alimenter de nombreuses transactions illicites.
Les réglementations mises en place
Depuis la naissance de Bitcoin, de nombreuses réglementations ont pris place aux 4 coins du monde pour encadrer les crypto-monnaies.
Les exchanges centralisés ont notamment l’obligation de mettre en place un KYC, Know your customer, afin de connaitre l’identité de leur client et de lutter contre les activités criminelles.
Les crypto-monnaies rentrent aussi dans le champ d’application de nombreuses loi anti-blanchiment d’argent pour éviter une utilisation frauduleuse de ces dernières. Les organismes PSAN notamment peuvent être soumis à des contrôles de l’administration fiscale.
Récemment, la Commission Européenne a présenté son texte MiCA pour réglementer le secteur des crypto-actifs. Ce dernier prévoit notamment un cadre réglementaire applicable aux prestataires de services sur actifs numériques tels que les exchanges notamment. Il faudra désormais une autorisation des autorités compétentes dans le pays membre.
Aux États-Unis, si Joe Biden et son récent décret se montre plutôt favorable au développement de l’écosystème crypto, il souhaite aussi que les agences fédérales puissent examiner les modifications réglementaires potentielles au sujet des crypto-monnaies. Les États-Unis souhaite donc un ensemble de mesures visant à réglementer encore plus strictement Bitcoin et l’ensemble des crypto-monnaies. Il s’agit aussi de coordonner les différentes agences, la SEC et la Commidity Futures Trading notamment, qui s’occupent aujourd’hui de ces questions.
Les crypto-monnaies ne sont pas le moyen de transaction privilégiée des criminels
Au-delà de l’historique liée aux crypto-monnaies et des discours notamment de certains politiciens, les crypto-monnaies ne semblent pas être le moyen de transaction et de paiement privilégié des criminels. De nombreux rapports et études attestent de cela et démonte l’argumentaire des opposants aux monnaies décentralisées.
La raison est simple, les crypto et le bitcoin en particulier, laissent un nombre très important de données publiques qui peuvent être recoupées avec d’autres données donc les autorités bénéficient.
Chainalysis dresse un état des lieux complets des transactions criminelles
Chainalysis est une société spécialisée dans l’analyse des transactions sur la blockchain. Cette plateforme regroupe un ensemble de données afin de permettre de surveiller les transactions, de les analyser. C’est un acteur de référence auquel font notamment appel de grands acteurs institutionnels comme la banque Barclay’s, l’application de trading Gemini ou encore l’exchange Bitstamp. Cette solution s’adresse donc aussi bien aux entreprises du secteur, aux institutions financières, mais aussi aux agences gouvernementales responsable des questions liées aux crypto-monnaies.
Tous les ans, la société édite un rapport nommé Crypto Crime qui revient sur les transactions frauduleuses et criminelles dans le monde de la blockchain. Dans son édition 2022, on apprend que les transactions illicites atteignent leur plus haut historique en montant net pour l’année 2021. Le chiffre des transactions liées aux activités criminelles atteint près de 14 milliards de dollars contre seulement 7,88 milliards en 2020 et 11,78 milliards en 2019. On note d’ailleurs que la pandémie a aussi eu un impact sur l’activité criminelle…
Au vu de ce premier chiffre, on pourrait se dire que les détracteurs des crypto-actifs ont raison. Ces dernières sont bien de plus en plus utilisées par les criminels. Toutefois, ce chiffre est bien insuffisant pour tirer des conclusions.
En effet, comme le rappelle le rapport, les crypto-monnaies et leurs usages ont explosé au cours des dernières années. L’adoption par un nombre croissant d’utilisateurs de ces actifs et par exemple des protocoles de finance décentralisée est inédite.
Le volume de transactions totales effectué en crypto-monnaies pour l’année 2021 s’élève lui à 15,8 trillions de dollars. Il est en nette croissance, plus de 567% par rapport à l’année 2020. Cela montre bien la croissance phénoménale du secteur. Aussi mécaniquement au vu d’un volume total en expansion, celui des transactions criminelles augmente aussi. Toutefois, il apparait que la part des transactions de nature criminelles est à son plus bas historique.
En effet, ces transactions ne représentent que 0,15% du volume total des transactions effectuées sur les différentes blockchains.
Chainalysis rappelle que ce n’est pour l’heure qu’une tendance, qu’elle affinera et ce chiffre devrait surement monter légèrement. Toutefois, il n’en demeure pas moins que la part des transactions criminelles apparait plus que minime. L’entreprise rappelle que les réglementations en place, les nombreuses investigations notamment contre les arnaques permettent de mieux réguler le secteur qu’il y a quelques années.
Pour la société spécialisée dans l’analyse des données, il ne faut toutefois pas minimiser le problème. Ces transactions illicites ne sont pas bonnes pour l’écosystème et doivent être dénoncées. Elles sont souvent le prétexte pour une réglementation plus stricte du secteur par les gouvernements.
La DeFI attire les criminels
Chainalysis divise les transactions d’origine criminelle en 7 catégories : matériel pédopornographique, le marché noir du Darknet, les fraudes de e-commerce, les administrateurs cybercriminel, les ransomware, les arnaques et les fonds volés. Selon le rapport, deux catégories ont augmenté en 2021 à savoir les fonds volés et les arnaques. La finance décentralisée représente une large part de ces montants.
Rappelons que la finance décentralisée connait une croissance exceptionnelle. Le volume de transactions lié à la finance décentralisée a augmenté de 912% en 2021. Les rendements intéressants voire exceptionnels de certains protocoles ont attiré un nombre croissant d’utilisateurs et par conséquent d’arnaqueurs et autres criminels.
En effet, nous avons vu ces derniers mois la multiplication de hack sur la DeFI. On peut notamment citer Cream Finance avec un montant de plus de 130 millions de dollars en octobre 2021. Il s’agissait alors du troisième piratage subit par le protocole. La finance décentralisée est par nature sujette aux piratages et hack notamment en cas de failles dans les smarts contracts sur lesquels sont déposés les fonds.
Les arnaques, ou scams en anglais représentent près de 7,58 milliards de dollars de fonds volés aux victimes. 2,8 milliards de ce total provient ce que l’on nomme les rug pulls. Il s’agit de monter un projet crypto d’apparence légitime avec un joli site internet, une roadmap pour mieux récupérer l’argent des investisseurs et disparaitre ensuite. Cette pratique a pris de l’ampleur au vu de l’augmentation massive des montants investis dans la finance décentralisée. Plus de 90% de ce montant est attribué au rug pull de l’exchange Thodex dont le CEO a disparu peu de temps après avoir empêché les utilisateurs de verrouiller les fonds. Une affaire qui rappelle l’affaire Quadriga , premier exchange Canadien en 2018, qui a récemment eu les honneurs d’un documentaire Netflix.
Chainalysis nous rappelle donc l’importance de déposer ses fonds sur des protocoles ayant fait l’objet d’un audit. En effet, la plupart du temps, un audit du code permet de vérifier les volontés du protocole et de déposer son argent dans un endroit à priori sûr, même si l’audit ne peut pas garantir la sécurité à 100%.
3,2 milliards de crypto ont été volés en 2021, c’est une hausse de 516% par rapport à 2020. Les trois quarts de ces fonds ont été volés sur des protocoles de finance décentralisée.
La finance décentralisée continue de grandir et d’attirer de plus en plus d’investisseurs. Aussi, il apparait évident que les fonds volées et les arnaques se multiplient dans cet environnement.
Le rapport estime à près de 10 milliards de dollars le montant de crypto-monnaies détenues par des wallets reliés à des activités criminelles.
Les chiffres sont donc significatifs en valeur absolue mais tout de suite moins impressionnant quand on les met en perspective avec les montants globaux des transactions sur la blockchain. Il convient toutefois de noter ces dérives et de trouver les solutions pour éradiquer ces transactions liées à des activités criminelles.
Les solutions apportées par les institutions
En dehors des différentes réglementations apportées par les institutions, le rapport évoque des pistes pour lutter contre l’utilisation des crypto-monnaies à des fins criminelles.
Les forces de l’ordre ont notamment vu leurs pouvoir se renforcer et peuvent désormais plus facilement saisir les crypto-monnaies obtenues de manière illégale.
Chainalysis rappelle qu’en novembre 2021, l’IRS Criminal investigations, l’équivalent du Fisc en France, a saisi plus de 3,5 milliards de dollars de crypto-monnaies. De même en Israël, les institutions avaient saisi des fonds de crypto-actifs dans le cadre d’une affaire de terrorisme.
Les autorités et instances de régulation voient leurs pouvoir s’accroitre dans cette lutte face aux criminels. Comme souvent, ces derniers possèdent toutefois une longueur d’avance pour masquer la provenance ou la destination de leurs fonds comme nous avons pu le voir précédemment.
Conclusion
Les crypto-monnaies sont des actifs d’une nature innovante, s’échangeant via de nouveaux canaux qui peuvent sembler obscurs notamment pour les profanes. Les premières années d’existence du Bitcoin et son utilisation au sein du Darkweb lui ont conféré une image sulfureuse. La culture populaire, les séries, films ainsi que les différentes interventions médiatiques ont accentué ce trait. La vision des crypto-monnaies comme instrument au service des activités criminelles restent donc bien ancrée dans l’imaginaire collectif.
La réalité est tout autre puisque par nature, les transactions sur la blockchain sont traçables et on peut en retrouver très facilement les auteurs. Si certaines solutions comme Monero permette un réel anonymat, la plupart des transactions sont analysables beaucoup plus facilement que celles avec du cash notamment.
Les études et rapports démontrent année après année que l’image sulfureuse des crypto-monnaies n’est pas une réalité. Les différentes réglementations ont notamment contribué à assainir le secteur et l’immense majorité des transactions est en phase avec la loi.
Pour les défenseurs du secteur, ce procès d’intention fait aux crypto-actifs est un moyen supplémentaire de réglementer plus durement le secteur.
Ces accusations sont vues comme une excuse pour permettre aux différentes institutions et gouvernement de mettre sous leur coupe tout l’écosystème. Dans ce contexte, la mise en place des CBDC, les monnaies numériques de banque centrale, apparait comme un élément de cette stratégie pour garder le contrôle historique qu’ont les états sur la monnaie. Il s’agirait d’une récupération de la technologie blockchain au service des gouvernements et d’un contrôle renforcée sur les citoyens.
Pour les crypto-monnaies, l’enjeu semble donc être avant tout un enjeu d’image. Il s’agit de mieux vulgariser, faire connaitre les fondements même de cette technologie transparente pour lutter contre toutes les idées reçues. Il s’agit aussi évidemment d’assainir le secteur et notamment de lutter contre les nombreuses arnaques qui prennent place dans la finance décentralisée.
Les prochaines années seront décisives et nous diront si l’image qui colle à la peau des crypto-monnaies, malgré le peu de fondements, s’efface enfin.
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